Catégories
assurance assurance perte d’exploitation cabinet je conseil le doute profite à l’assuré

L’opinion – 5 mai 2020

Les assureurs sont dans la ligne de mire des responsables politiques qui leur demandent d’indemniser les pertes des commerces. Pertes d’exploitation Les assureurs ont jusqu’au 14 mai pour trouver un accord avec les restaurateurs et hôteliers afin d’indemniser une partie de leurs pertes d’exploitation, même si elles ne sont pas prises en charge dans la plupart des contrats. Or, ceux du Crédit Mutuel seraient susceptibles de donner lieu à indemnisation, d’après les concurrents du bancassureur et de nombreux juristes. L’ACPR devrait lancer mercredi une enquête sur tous les contrats de la place, a appris l’Opinion.

DANS QUELQUES ANNÉES, les manuels sur « tout ce qu’il ne faut pas faire en communication de crise » comporteront sûrement un long chapitre titré: « Les assureurs durant la crise du Covid-19 ». Au 15 avril dernier, le secteur avait pris des engagements représentant 3,2 milliards d’euros au titre de la pandémie. Il est le seul à contribuer au fonds de solidarité mis en place par l’Etat pour les très petites entreprises, à hauteur de 400 millions d’euros. Pourtant, les foudres qui s’abattent sur lui sont loin de s’arrêter. Selon une source bien informée, le régulateur de l’assurance (ACPR) va s’autosaisir ce mercredi et lancer une enquête sur tous les contrats d’assurance pour pertes d’exploitation de la place. L’ACPR ne commente pas.

Au début de la crise, les assureurs entretenaient l’espoir fou qu’on ne leur parle pas de pertes d’exploitation. Car ces dernières ne sont pas assurables au titre d’une pandémie: il n’y a pas de mutualisation du risque puisque toutes les entreprises sont touchées. Si on voulait les assurer, il faudrait le concours de l’Etat comme pour les catastrophes naturelles: les assureurs travaillent sur un nouveau régime, mais ce dernier ne peut pas fonctionner a posteriori pour le Covid-19.

Tout aurait pu en rester là. Les assureurs avaient même échappé à de nouvelles taxes proposées par des parlementaires de tous bords, refusées par le gouvernement.

Chevalier blanc. C’était sans compter le Crédit Mutuel-CIC. Le bancassureur mutualiste est d’abord arrivé comme le chevalier blanc. Mercredi 22 avril, il a lancé en grande pompe une « prime de relance mutualiste » de 1 500 à 20 000 euros (7000 euros en moyenne) pour ses quelque 27 000 assurés professionnels, arguant que même si les pertes d’exploitation n’étaient pas assurées ni assurables, il fallait quand même faire un geste pour les clients.

Une question de « responsabilité morale », a scandé Nicolas Théry, le président du groupe, dans le Figaro. Dès cette annonce, le boucheà-oreille se répandait dans toute la France: le Crédit Mutuel, lui, indemnise ses clients ! D’autres bancassureurs ont alors emboîté le pas: Crédit Agricole, Société Générale, BPCE. Et même un assureur mutualiste, MMA.

La leçon de morale est très mal passée auprès des autres concurrents. Ils ont mis leurs armées d’avocats sur le coup et ces dernières ont découvert que les contrats du Crédit Mutuel ouvraient potentiellement la voie à une indemnisation totale des pertes d’exploitation Bien supérieure aux 200 millions d’euros déboursés en primes. Et s’il était possible que le Crédit Mutuel, entrevoyant ce risque juridique, avait tenté le coup de le minimiser? Com’ « mensongère ». « Si je travaillais chez un bancassureur et que je voyais une imperfection comme celle-là, je tenterais le coup », glisse un avocat. De nombreux juristes considèrent en effet que le contrat « Acajou » du Crédit Mutuel donne droit à garantie. D’autant que pour recevoir leur prime, les clients doivent signer un courrier où il est écrit que « les conditions générales prévoient notamment une exclusion pour les dommages causés par les micro-organismes, dont le coronavirus fait partie ». Le client qui signe aura du mal à argumenter en justice que son contrat couvre les dommages causés par le coronavirus. Jean-Laurent Granier, PDG de Generali France, et Thierry Martel, DG de Groupama, ont saisi la commission de déontologie de la FFA pour communication « potentiellement mensongère », tandis que l’association de courtiers Agéa a saisi l’ACPR.

« Notre initiative n’a qu’un seul objectif : sauver des entreprises de proximité, et donc l’emploi. Le reste n’est que polémique », dément Nicolas Théry auprès de l’Opinion. Une source proche du groupe se réjouit carrément que les autres assureurs lui fassent depuis « dix jours un maximum de publicité contre leur intérêt profond ». Car l’opprobre est désormais jeté sur les contrats d’assurance. Mi-avril, la MAAF avait reconnu qu’une partie de ses contrats ouvrait droit à des indemnisations, mais son initiative n’avait pas fait grand bruit. Désormais, tout le monde cherche la petite bête, et parfois, trouve.

« En plus des conditions générales des contrats, il y a souvent deux couches supplémentaires de conditions particulières, voire plus, explique Jérôme Goy, avocat associé chez Enthémis. Parfois il y a des clauses rayées, à la main, négociées à la fin, inapplicables pour certains assurés. Il y a toujours des marges d’interprétation, c’est lié à la nature du droit et au bazar pratique de la réalité. Parfois on n’a tout simplement pas recopié la bonne clause »! « Le doute profite aux assurés dans le droit de l’assurance, ajoute Grégory de Moulins Beaufort, avocat associé chez Richelieu avocats. Je ne veux pas donner de faux espoirs, mais les montants sont tels que ça vaut le coup de regarder son contrat. » Axa France a été assigné en justice pour un contrat distribué par son courtier Satec. Des fédérations professionnelles et des avocats appellent les commerçants à ne pas signer de papiers envoyés par leurs assureurs au sujet de primes. Pas sûr qu’ils résistent, car la prime arrive tout de suite, alors qu’une éventuelle indemnisation nécessite une longue bataille devant le juge civil.

Ultimatum de Bercy. Les responsables politiques n’ont pas le temps de se pencher dans les détails du débat juridique qui agite ainsi le secteur autour des mots « clause Mérule, champignons lignivores, micro-organismes, contrats à périls dénommés ou contrats tous risques sauf » ; où Axa France plaide pour sa défense que le ministère de la santé n’est pas l’autorité compétente pour fermer un restaurant comme le prévoient certains de ses contrats.

Qu’importe tout cela. Dans une interview au JDD dimanche dernier, la présidente de la région Ile-de-France Valérie Pécresse « tire son chapeau » au Crédit Mutuel. Au ministère de l’économie, l’opacité des contrats d’assurance a fortement irrité Bruno Le Maire, qui a demandé au gouverneur de la Banque de France, François Villeroy de Galhau, de faire davantage bouger les choses à l’ACPR, selon une source proche. Le ministre a mis les assureurs au pied du mur: ils doivent se mettre d’accord avec les restaurateurs et hôteliers pour indemniser une partie des pertes d’exploitation, faute de quoi Bercy ne pourra plus empêcher les députés de créer une nouvelle taxe! La date butoir est fixée au 14 mai, lorsque Edouard Philippe présentera le plan de relance de la filière du tourisme.

Divisés, leurs efforts méconnus, les assureurs, grands incompris de la pandémie, ne sont pas au bout de leurs peines.

Jade Grandin de l’Eprevier

Laisser un commentaire